Coup de ♥ de Céline : "Que sur toi se lamente le Tigre" d'Emilienne Malfatto
Au détour d'une table à l'Alpha, un roman, pas très épais, à la couverture sombre m'interpelle. Trois portraits de femmes se masquant la bouche. L'une d'elle est souriante, l'autre chuchote, la troisième semble silencieuse. Cette couverture n'est pas banale : la photo est en format paysage, comme à l'envers, on ne sait pas dans quel sens prendre le livre. Chacune à sa place. Tout en haut, une main tenant une cigarette, une main d'homme dont on ne voit pas le visage. Je suis repartie avec sans même lire le résumé sur la 4ème de couverture.
Je ne savais pas, à ce moment-là, dans quoi je me lançais.
En creusant un peu, je découvre que ce roman a déjà quelques années. Dans le flot de parutions, dans le flot de la vie qui passe à toute vitesse parfois, j'ai manqué ce premier roman bouleversant d’Emilienne Malfatto, décoré du Goncourt du Premier roman en 2021.
« Que sur toi se lamente le Tigre » se déroule dans l'Irak rural d'aujourd'hui, sur les rives du Tigre.
L’autrice déroule, en moins de 100 pages, une tragédie moderne sanglante : une jeune femme, amoureuse, enceinte, va mourir. Elle le sait. Elle attend sa sentence, décidée par les hommes irakiens (frère, père ou mari) au nom du "code d'honneur".
Elle nous livre un récit poignant mêlant la parole des femmes (la mère, la petite sœur, la condamnée) à celle des hommes. Le tout se déroule sous le regard de Gilgamesh, héros mésopotamien porteur de la mémoire du pays et des hommes, conférant au récit une dimension plus grande, plus forte, universelle.
De la privation de libertés à l’interdit absolu, une mécanique silencieuse, insidieuse, cruelle et impensable se met en route. Le bruit sourd des bombes se mêle au silence des femmes, fruit de la domination des hommes.
Un sujet complexe extrêmement bien traité, qui ne laisse pas de marbre. Un roman court et percutant qui vous suivra, même une fois refermé. On ne mettra plus de rouge à lèvres sans penser à cet instant de liberté ressenti par l'héroïne, tapie derrière le poids d'une société patriarcale qui tue les femmes.
Le réalisme, la force du texte viennent peut-être de l'expérience personnelle de l’autrice, qui a vécu en Irak où elle a exercé en tant que photojournaliste. Un parcours de vie riche à seulement 34 ans. personnellement, je vais m'empresser de lire sa bibliographie !
Pour en savoir plus sur l'autrice : Émilienne Malfatto - Babelio
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