Toutes les vies de Rebecca Warrior, un coup de coeur de Céline
Parmi les centaines de publications sorties en cette rentrée littéraire 2025, j’ai choisi ce livre par pure curiosité et parce que j'avais entendu une interview à la radio. L'envie de le lire a été immédiate. Je connaissais bien son travail de chanteuse, musicienne et compositrice, j'ai été surprise d'apprendre qu'elle publiait son premier roman. Julia Lanoë, de son vrai nom, fait partie des groupes Sexy Sushi, Mansfield.TYA, Kompromat et est une artiste que j’apprécie énormément pour son franc parlé, son engagement, son militantisme. Elle est aussi à la tête d’un label de musique : WarriorRecords, un label queer et féministe.
J’ai été happé par le roman dès les premières lignes. L’écriture est fluide, alors que l'œuvre prend parfois la forme d’un rapiècement : citations d’auteurs classiques par-ci par-là, extraits de journaux, extraits de chansons, liste de mots sur plusieurs pages. Toutes ces pièces forment un tout qui fait sens, -même s'il est bien difficile de trouver un sens à tout ça-. Ce roman, c'est un long cri qui résonne. Un cri de douleur mais aussi un cri d'amour.
Revendiqué comme de l’autofiction, il retrace le parcours de la narratrice au côté de sa compagne P., Pauline, qui découvre une grosseur à la poitrine lors d’un voyage à Chacahua au Mexique en 2015, et qui s’avèrera, de retour à Paris, être un cancer du sein. À travers le journal de la narratrice, nous suivons sans filtre toutes les émotions et les épreuves qui traversent leurs vies, celles qui mènent inexorablement à la mort, et celles qui sillonnent le chemin pour remonter la pente. La narratrice passe d’amoureuse à aidante, de femme en couple à veuve et passera par de multiples expériences pour tenter de survivre à la perte et au deuil.
Les allers-retours à l’hôpital, la froideur des médecins, la chimiothérapie, la mastectomie, la fatigue, la souffrance, la rémission, la rechute, l’impuissance. C’est tout cela qu’on traverse avec la narratrice. Sans faux-semblants, sans prendre de détour : elle ose dire.
On parle souvent de combat face à la maladie. Ici, plus qu'un combat, on peut parler de survie. Pas seulement celle de la personne malade, mais bien celle de son aidante. Aujourd'hui, un aidant sur 3 meurt avant son aidé. Comment surmontera-t-elle ces étapes, cette tragédie? Une seule solution, se raccrocher aux branches, tester des choses : Yi-Jing, méditation de pleine conscience, Vipassana, Zazen, Qi-Gong, Ayahuasca et chamanisme… Autant de branches qui plieront chacune à leur tour sous le poids du chagrin.
Un lecteur sur Babelio a écrit cette phrase, que je trouve tout à fait appropriée : « Rebeka Warrior nous livre le témoignage de cette expérience inhumaine, insurmontable sous la forme non pas d'un récit mais d'un journal de bord comme le ferait le capitaine d'un navire en train de sombrer qu'elle a fleuri de citations ». La plupart, et comme elle s’amuse à le dire, sont des auteurs masculins, blancs, et morts : Hermann Hesse, Marc Aurèle, Tomas Mann ou encore André Gide.
C'est un ouvrage terrible mais pas si difficile à lire -gardez quand même quelques mouchoirs à proximité-, criant d'un réalisme cruel, qu’il est parfois bon d’oser aborder, et un hommage poignant à sa compagne et à tout l'amour qu'elle lui vouait, parce que c’est aussi une plongée au cœur d’une très belle histoire d’amour.
Le titre, « Toutes les vies », est un extrait de « La mouette » d'Anton Tchekhov que l'autrice s'est tatoué sur le corps.